Cassius - 1999
Enregistré en 1998
Lancé le 25 janvier 1999
Label : Virgin Records
Réalisation : Philippe Zdar et Boom Bass
Extrait : Mister Eveready (#9 de 16)
Outaragacote : ☻☻☻☻☺
Enregistré en 1998
Lancé le 25 janvier 1999
Label : Virgin Records
Réalisation : Philippe Zdar et Boom Bass
Extrait : Mister Eveready (#9 de 16)
Outaragacote : ☻☻☻☻☺
C'est tempête sur le chemin vers Edmonton. On est parti de Fort St-John peu après minuit, en retard bien sûr. Le nain est un lent, toujours en retard. Il y a toujours un problème et un imprévu avec lui. C'est sans compter les maladresses qui se suivent et qui ne se ressemblent jamais. C'est pas de sa faute mais un peu beaucoup. Son nanisme n'est pas l'unique raison de sa lenteur et de ses maladresses. En fait, il n'est pas si nain que ça. Il mesure presque cinq pieds. Il a quand même les traits typiques des nains avec ces jambes courtes, ces bras courts et ce bassin tordu qui donne une démarche boiteuse. C'est déroutant parce qu'il a plus le visage d'un lilliputien que de celui d'un nain. Peut-être qu'il n'est pas nain. Peut-être qu'il est un mutant. Je ne lui ai jamais demandé en fait. Je sais qu'il est mal amanché, qu'il a eu la vie dure. Heureusement, ses parents veillaient sur lui depuis son combat contre le cancer. Toujours est-il que son cancer, son alcoolisme passé, son psoriasis grimpant et sa maladie des os l'avait rendu lent physiquement. Son coeur, à ce qu'il parait pouvait lâcher à n'importe quel moment, et que les gens comme lui ne se rendent pas à quarante ans. Ce n'est pourtant pas cette lenteur qui occasionnait le retard et qui m'embêtait. C'était son manque total d'organisation, sa méticulosité inutile et sa nervosité qui le rendait vraiment lent. J'aurais dû voir venir ça quand il m'a offert, gentiment et de gaieté de coeur, un lift pour me conduire à l'aéroport d'Edmonton, et que j'ai laissé tomber l'idée de prendre l'autobus la veille. Ma visite au Québec pour passer Noël et l'arrivée de '99 avec ma mère et mon frère a dépendu, toutes ces dernières heures, du nain et du pick-up qui venait avec.
Le nain est mon patron. Je travaille pour lui depuis un an déjà. Je l'ai rencontré quelques semaines après mon arrivée à Fort St-John à la poursuite du cash et épris d'un malaise existentiel qui perdurait depuis la puberté, qui me faisait fuir et qui m'avait emmené dans l'ouest canadien encore une fois en avril '97 pour encore y planter des arbres. Après des mois sous la tente, j'avais quitté le travail forestier, surtout que l'arthrite s'était emparé de mes articulations, à cause du contact continu avec l'humidité et le froid. J'étais atterri en autobus en novembre à Fort St-John pas loin du camp où j'étais, déprimé, anticipant déjà la vie morne que je m'infligeais, détestant les choix que je faisais. C'est par un contact avec un paumé, à la maison de chambres où je demeurais, que j'ai rencontré le nain. Il était contractant en construction résidentielle, et nous n'avions terminé aucune des trois maisons pour lesquelles il était sous contrat. Les acheteurs se débarrassait de lui pour cause d'incompétence. Il n'était pas si négligeant que ça, ni mauvais. Comme je l'ai dit tantôt, il est lent et gaffeur, mais manque aussi de leadership et de confiance en lui. Il y avait comme une malédiction sur lui. Il se faisait flouer par des paumés d'un bord en qui il faisait trop confiance, et d'un autre bord, quand les clients découvraient une de ses gaffes, le nain avait tant de mal à se défendre, que ceux-ci avaient fait leur idée sur lui, ne prenaient plus de chance et se débarrassaient de lui. C'est à mon tour maintenant, je pense, de me débarrasser de lui. J'aurais pu le faire une journée plus tôt, mais j'ai succombé à son offre. Elle me permettait d'économiser de l'argent et une chambre d'hôtel à Edmonton. Surtout qu'il ne m'a pas encore payé mes deux dernières semaines de travail.
Voilà qu'il était un peu avant minuit, que l'avion décollait dans onze heures et que le trajet est sensé prendre dix heures dans les conditions normales. Et elles ne le sont pas et ne le seront pas : une tempête de neige s'abat sur tout le nord de l'Alberta et je me couche et m'endors avant vingt-deux heures depuis les derniers six-cent jours. Pendant l'après-midi avant le départ, j'avais tout préparé pour le voyage. Tout était prêt, jusqu'aux cigares pour me tenir éveillé. Oui, c'était moi qui allait conduire. Je contrôlais la situation sauf trois éléments : la température, le nain et l'état du pick-up. Il a fallu que je me choque, à minuit, pour que le nain cesse ses activités invraisemblables et qu'il embarque finalement dans le pick-up en se faisant arracher les clés de ses petites mains tordues et galeuses.
Dans la tempête, il est quatre heures du matin et le cigare au bec, je fais du cent-trente kilomètres à l'heure. Il y a un sixième camion renversé dans le fossé. Il y a à peine quinze minutes, je croyais que c'était foutu pour mon retour au Québec. Le pick-up ne roulait pas plus vite que les déneigeuses. J'ai dû prendre la première sortie et réveiller des résidents dans un patelin perdu pour leur voler de la dix-double-v-trente parce que le moteur du pick-up était à sec. De retour sur l'autoroute et dans la poudrerie, je comprend clairement que je m'enfuis, et que je ne reviendrai pas en janvier. Je ne suis pas plus enthousiaste par rapport à l'avenir. Je n'ai pas nécessairement plus hâte de survivre au Québec. Il y a seulement cette excitation soudaine, ce seul désir de faire avancer le pick-up et de prendre cet avion absolument. Encore de la fuite, ça c'est certain. Et je sais que c'est encore pour ma survie, parce que le nain à côté de moi, qui a l'air triste parce qu'il sent qu'il devra se trouver un autre homme de main, je ne le considère pas. Je me rend compte qu'il n'a été qu'une ressource financière pendant tout ce temps et ici le propriétaire de ce moyen de transport. Quel être égoïste et pathétique je fais! mais je ne peux pas faire autrement. Les deux dernières années de ma vie défilent dans ma tête comme la neige arrive dans le windshield. Ce voyage entrepris, il y a six-cent jours qui devait servir à faire une passe de cash et à faire quelque chose de ma peau n'a été pour la grosse partie du temps qu'ennui et solitude. Et je n'ai à peine plus de cash qu'à mon départ, et j'étais toujours aussi peu en paix avec la vie. Cependant, je suis à l'instant en pleine exaltation, en break de ma détresse habituelle.
L'heure de pointe du matin et les embouteillages m'attendent à Edmonton, mais ça ne dérange plus. J'ai fait ça vite. J'arrive à l'heure à l'aéroport, je me stationne au quai de départ devant les portes, je prend mes bagages et dit au nain que je m'en vais voir où est le comptoir. Je ne reviendrai pas voir le nain pour lui dire merci. Je suis déjà dans l'avion quand je le vois me chercher dans la gare, l'air aussi désemparé que d'habitude.
J'enverrai les clés du pick-up par courrier express depuis Dorval vers une chambre d'hôtel à Edmonton. Comme je le sentais, je ne retournerai pas à Fort St-John. Je ne recevrai pas mes deux semaines de salaire non plus.
Le nain est mon patron. Je travaille pour lui depuis un an déjà. Je l'ai rencontré quelques semaines après mon arrivée à Fort St-John à la poursuite du cash et épris d'un malaise existentiel qui perdurait depuis la puberté, qui me faisait fuir et qui m'avait emmené dans l'ouest canadien encore une fois en avril '97 pour encore y planter des arbres. Après des mois sous la tente, j'avais quitté le travail forestier, surtout que l'arthrite s'était emparé de mes articulations, à cause du contact continu avec l'humidité et le froid. J'étais atterri en autobus en novembre à Fort St-John pas loin du camp où j'étais, déprimé, anticipant déjà la vie morne que je m'infligeais, détestant les choix que je faisais. C'est par un contact avec un paumé, à la maison de chambres où je demeurais, que j'ai rencontré le nain. Il était contractant en construction résidentielle, et nous n'avions terminé aucune des trois maisons pour lesquelles il était sous contrat. Les acheteurs se débarrassait de lui pour cause d'incompétence. Il n'était pas si négligeant que ça, ni mauvais. Comme je l'ai dit tantôt, il est lent et gaffeur, mais manque aussi de leadership et de confiance en lui. Il y avait comme une malédiction sur lui. Il se faisait flouer par des paumés d'un bord en qui il faisait trop confiance, et d'un autre bord, quand les clients découvraient une de ses gaffes, le nain avait tant de mal à se défendre, que ceux-ci avaient fait leur idée sur lui, ne prenaient plus de chance et se débarrassaient de lui. C'est à mon tour maintenant, je pense, de me débarrasser de lui. J'aurais pu le faire une journée plus tôt, mais j'ai succombé à son offre. Elle me permettait d'économiser de l'argent et une chambre d'hôtel à Edmonton. Surtout qu'il ne m'a pas encore payé mes deux dernières semaines de travail.
Voilà qu'il était un peu avant minuit, que l'avion décollait dans onze heures et que le trajet est sensé prendre dix heures dans les conditions normales. Et elles ne le sont pas et ne le seront pas : une tempête de neige s'abat sur tout le nord de l'Alberta et je me couche et m'endors avant vingt-deux heures depuis les derniers six-cent jours. Pendant l'après-midi avant le départ, j'avais tout préparé pour le voyage. Tout était prêt, jusqu'aux cigares pour me tenir éveillé. Oui, c'était moi qui allait conduire. Je contrôlais la situation sauf trois éléments : la température, le nain et l'état du pick-up. Il a fallu que je me choque, à minuit, pour que le nain cesse ses activités invraisemblables et qu'il embarque finalement dans le pick-up en se faisant arracher les clés de ses petites mains tordues et galeuses.
Dans la tempête, il est quatre heures du matin et le cigare au bec, je fais du cent-trente kilomètres à l'heure. Il y a un sixième camion renversé dans le fossé. Il y a à peine quinze minutes, je croyais que c'était foutu pour mon retour au Québec. Le pick-up ne roulait pas plus vite que les déneigeuses. J'ai dû prendre la première sortie et réveiller des résidents dans un patelin perdu pour leur voler de la dix-double-v-trente parce que le moteur du pick-up était à sec. De retour sur l'autoroute et dans la poudrerie, je comprend clairement que je m'enfuis, et que je ne reviendrai pas en janvier. Je ne suis pas plus enthousiaste par rapport à l'avenir. Je n'ai pas nécessairement plus hâte de survivre au Québec. Il y a seulement cette excitation soudaine, ce seul désir de faire avancer le pick-up et de prendre cet avion absolument. Encore de la fuite, ça c'est certain. Et je sais que c'est encore pour ma survie, parce que le nain à côté de moi, qui a l'air triste parce qu'il sent qu'il devra se trouver un autre homme de main, je ne le considère pas. Je me rend compte qu'il n'a été qu'une ressource financière pendant tout ce temps et ici le propriétaire de ce moyen de transport. Quel être égoïste et pathétique je fais! mais je ne peux pas faire autrement. Les deux dernières années de ma vie défilent dans ma tête comme la neige arrive dans le windshield. Ce voyage entrepris, il y a six-cent jours qui devait servir à faire une passe de cash et à faire quelque chose de ma peau n'a été pour la grosse partie du temps qu'ennui et solitude. Et je n'ai à peine plus de cash qu'à mon départ, et j'étais toujours aussi peu en paix avec la vie. Cependant, je suis à l'instant en pleine exaltation, en break de ma détresse habituelle.
L'heure de pointe du matin et les embouteillages m'attendent à Edmonton, mais ça ne dérange plus. J'ai fait ça vite. J'arrive à l'heure à l'aéroport, je me stationne au quai de départ devant les portes, je prend mes bagages et dit au nain que je m'en vais voir où est le comptoir. Je ne reviendrai pas voir le nain pour lui dire merci. Je suis déjà dans l'avion quand je le vois me chercher dans la gare, l'air aussi désemparé que d'habitude.
J'enverrai les clés du pick-up par courrier express depuis Dorval vers une chambre d'hôtel à Edmonton. Comme je le sentais, je ne retournerai pas à Fort St-John. Je ne recevrai pas mes deux semaines de salaire non plus.
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